Les espaces de production dans le monde : une diversité croissante


Fiche

Dans le monde, on assiste à une recomposition des dynamiques liées à la production de richesses. Autrefois concentrée au Nord, la production mondiale tend à basculer vers les territoires marqués par l'émergence. Toutefois, cette nouvelle décomposition internationale des processus productifs (DIPP) relève de logiques complexes. On parle également d'organisation en chaînes de valeurs pour mentionner cette division des différentes tâches de la production dans plusieurs régions du monde. Elle dépend du potentiel des territoires, placés en concurrence dans un monde ouvert, et qui sont plus ou moins attractifs et compétitifs. Afin de comprendre comment fonctionnent les espaces de production, il faut s'interroger sur les acteurs de cette organisation, sur sa structure et sur ses conséquences sur les hiérarchies entre les territoires.
I. Les acteurs de l'organisation des espaces productifs
Plusieurs acteurs structurent les espaces productifs dans le monde. Certains sont des entreprises privées et d'autres, des acteurs institutionnels.
1. Les acteurs privés
• Les acteurs privés sont les entreprises. Parmi elles, celles qui ont la plus notable influence à l'échelle mondiale sont les firmes transnationales (FTN), c'est-à-dire les entreprises réalisant une part importante de leur activité dans les pays étrangers par le biais de filiales et dont les produits sont disponibles dans de nombreux pays. Le seuil de 25 pays est généralement cité. Les FTN les plus importantes possèdent des budgets supérieurs à ceux de certains États. On peut citer General Electric avec ses 31 filiales dans 150 pays et ses 264 000 employés, pour un chiffre d'affaires de 125 milliards de dollars. Si elle était un pays, son PIB occuperait la 58e place sur 209, au même niveau que le Koweït. Quelques grandes FTN contrôlent ainsi une part importante de l'économie mondiale : dans le domaine de l'industrie, de la distribution, de la finance et, plus récemment, dans celui des nouvelles technologies, avec les GAFAM.
• Ces entreprises cherchent à conquérir de nouveaux marchés et donc à s'implanter dans de nombreux pays. Elles cherchent aussi à profiter des lieux leur offrant la possibilité d'avantages comparatifs : une possibilité de produire à bas coût, soit à cause d'un faible coût de la main-d'œuvre, soit par des avantages fiscaux. L'exemple de l'industrie aéronautique civile est éclairant. Boeing et Airbus ont des stratégies différentes. Pour des raisons essentiellement politiques, Boeing concentre ses sites de production aux États-Unis, alors qu'Airbus assemble en France et en Allemagne et produit également au Royaume-Uni et en Espagne, mais, pour conquérir de nouveaux marchés, a installé des usines d'assemblage en Chine et aux États-Unis.
2. Les acteurs institutionnels
Les acteurs institutionnels sont également impliqués. D'une part, parce que les États créent le contexte législatif qui permet d'assurer la compétitivité de certains espaces. Par la fiscalité, l'État peut agir sur des mesures protectionnistes, dévaluer sa monnaie, mener une politique fiscale favorable aux investissements. L'État peut ainsi créer des zones franches avec une fiscalité avantageuse pour les investisseurs étrangers. D'autre part, l'État peut aussi être un investisseur, participant à des entreprises ou possédant un fonds souverain, comme les pétromonarchies. La politique menée par Singapour est ainsi éclairante, jouant à la fois sur l'attractivité et l'investissement, en faisant du pays un pôle financier et logistique. Les organisations internationales jouent un rôle comparable : l'Union européenne détermine des réglementations économiques et assure le pilotage de la zone euro. Quant au Fonds monétaire international (FMI), il joue un rôle essentiel dans la gouvernance économique mondiale.
3. Des acteurs informels ?
• Des acteurs informels sont également présents dans ce contexte. Aujourd'hui, les réseaux liés aux trafics d'armes ou de drogue brassent des sommes importantes. Ils peuvent également contrôler des zones plus ou moins vastes dans certains pays, assurant bases et productions. Le blanchiment assure l'interface avec l'économie légale.
II. Quels territoires pour quelles productions ?
1. Centres et périphéries de la DIPP
• Au sein de la DIPP, on constate des constantes et des éléments qui les remettent en cause. Tout d'abord, nous sommes sortis du schéma dominant au xxe siècle. Les pays du Nord assuraient la production de produits manufacturés et ceux du Sud fournissaient les matières premières. Depuis les années 1980, les entreprises des pays du Nord ont commencé à délocaliser leur production dans des espaces plus compétitifs.
• Aujourd'hui, l'Amérique du Nord et l'Asie orientale constituent les principaux pôles des productions, mais à des degrés différents, l'Asie de l'Est incluant des espaces de la Triade, comme le Japon, et des espaces liés à l'émergence, comme la Chine orientale.
2. Production et conception
• On assiste donc désormais à un monde partagé entre, d'une part, conception et recherche et, d'autre part, fabrication des éléments ne nécessitant pas une main-d'œuvre très qualifiée. Pour délocaliser cette production, les FTN s'orientent vers des pays à main-d'œuvre bon marché, mais relativement qualifiée, dans des pays stables et dans des zones facilement accessibles, avec une situation fiscale avantageuse. Les principales zones concernées sont le Mexique pour les firmes nord-américaines, avec la mise en place des maquiladoras, de twin plants et twin cities, la Turquie et le Maghreb pour les FTN d'Europe de l'Ouest, l'Asie du Sud et de l'Est pour les firmes japonaises et d'autres firmes venues du Nord.
• Dès les années 1980, certains pays mettent en œuvre une politique visant à transformer leur place dans la DIPP en remontant les chaînes de valeur : la Corée du Sud, après avoir été un « pays atelier » dans les années 1970, met en place des firmes capables de concevoir et produire des produits comparables à ceux du Nord. Aujourd'hui, elle est un pôle d'innovation industrielle et elle délocalise une partie de sa production suivant la stratégie du « vol d'oie sauvage » mise au point au Japon et appliquée par lui dans les années 1950.
3. Des facteurs qualitatifs
• D'autres facteurs jouent également sur les localisations d'entreprises. Il s'agit de la possibilité de disposer d'un marché important et à fort pouvoir d'achat, ainsi que de la présence d'une industrie de pointe. Dans l'agro-alimentaire, il est encore courant que les produits agricoles provenant des pays du Sud soient traités dans des usines du Nord, comme le café et le cacao dans de nombreux cas.
• Ainsi, la DIPP contribue à créer dans le monde des hiérarchies entre les espaces, non seulement entre pays, mais suivant les différents territoires.
III. Un monde structuré par les espaces productifs
1. Les pays industriels développés : des centres sans production ?
• Dans les pays du Nord, la DIPP contribue à la désindustrialisation. Le transfert, au Sud, des emplois par délocalisation contribue à la financiarisation des économies, mais elle a des conséquences sociales importantes : dans certaines régions où l'emploi industriel a disparu, peu d'emplois de conception-recherche ont été créés ou alors ils ne répondent pas aux qualifications des personnes ayant perdu leur emploi. C'est le cas d'une ville comme Detroit aux États-Unis.
• Mais on assiste parfois à des relocalisations d'une part de la production dans les pays du Nord, lorsque certaines zones redeviennent compétitives. Les principaux pôles de croissance du Nord sont aujourd'hui les technopôles comme la Silicon Valley, en Californie, regroupant les GAFAM et développant un nouveau rapport à l'emploi.
2. Les pays émergents : les gagnants de la DIPP ?
• Les pays émergents peuvent apparaître comme les gagnants de la DIPP. En effet, depuis 2014, les pays industriels développés produisent moins de 50 % de la richesse mondiale et la majorité des produits manufacturés provient des pays émergents. Ils attirent désormais la part la plus importante des investissements directs étrangers (IDE).
• De plus, certains émergents remontent activement les chaînes de valeur et ont développé des pôles d'innovation et de recherche : en Inde, Bangalore est un technopôle émergent. La Chine s'est engagée dans cette course. Non seulement elle est gagnante dans le domaine de la production industrielle, assurant 36 % du total mondial, mais elle concurrence désormais le Japon dans le nombre de brevets posés, notamment dans le domaine du transport ferroviaire à grande vitesse et elle s'est lancée dans la course de la conquête spatiale.
• Les pays émergents au sens large et les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), peuvent ainsi désormais subir la DIPP, mais aussi en tirer profit. Le Brésil cherche à le faire dans le domaine de l'agrobusiness. La Chine multiplie ses investissements en Afrique (bien qu'elle investisse surtout en Asie), notamment à l'est et dans le sud du continent, dans le secteur agricole, en pratiquant le land grabbing, dans le domaine des minerais, en RDC par exemple, ou dans celui du pétrole en Angola. Dans le cadre de sa stratégie du Collier de perles et des « nouvelles routes de la soie », elle investit dans des terminaux portuaires en Afrique et dans la construction d'infrastructures ferroviaires y aboutissant.
3. Modèle à suivre, aubaine ou marginalité pour les espaces peu ou mal inscrits dans la nouvelle DIPP
• L'action conjointe des pays du Nord et des émergents renforce la pression exercée sur certains espaces qui sont très dépendants des investissements extérieurs. L'Afrique peine ainsi à dégager les investissements nécessaires pour commencer une remontée des chaînes de valeur.
La pertinence de la DIPP pour assurer le développement durable est ainsi remise en cause par des économistes et des mouvements s'opposant à la mondialisation libérale et à ses conséquences sur les territoires. Les forums sociaux mondiaux sont ainsi des lieux de débat sur la pertinence d'un commerce équitable, du développement des circuits locaux et sur la valorisation du travail des producteurs.
• Dans les pays du Nord, la crainte des pertes d'emplois conduit à des politiques de valorisation des productions nationales, voire au retour de politiques protectionnistes. Toutefois, ces mouvements n'ont pas empêché la mise en œuvre des nouvelles logiques venant transformer les espaces de production.
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