Des métropoles inégales et en mutations


Fiche

Les métropoles sont très différentes les unes des autres, tant du point de vue de leur place au sein des territoires que de leurs espaces internes. De plus, les métropoles sont des espaces dynamiques. En leur sein, le rapport entre les centres et les périphéries passe par des recompositions : des nouveaux centres s'affirment, des espaces restent en marge, mettant en évidence des clivages sociaux et spatiaux. Au Nord et au Sud, des logiques semblables s'affirment, en même temps que villes du Nord et villes du Sud restent profondément marquées par le territoire dans lequel elles s'inscrivent. L'étude de deux situations urbaines, celle de Mumbai et celle de Londres, permet d'en juger.
I. L'exemple d'une ville du Sud : Mumbai, une métropole fragmentée
Mumbai (autrefois appelée Bombay) est marquée par l'émergence de l'Inde, dont elle est la ville la plus peuplée, avec 13 millions d'habitants dans la ville et 21 millions dans l'agglomération. La ville révèle les inégalités sociales et spatiales qui accompagnent le développement du pays.
1. Une métropole duale
• La situation littorale de Mumbai en fait depuis l'époque coloniale un port ouvert sur le monde. Elle est, depuis plusieurs siècles, bien connectée au reste du monde et constitue la porte d'entrée des innovations en Inde. Parmi les fonctions métropolitaines de Mumbai, celles liées à l'économie sont déterminantes. 41 % du commerce maritime entre l'Inde et le monde passe par son port. De ce fait, son poids industriel est important : 15 % de la production du pays. La ville exporte principalement des produits manufacturés à bas coût et importe des matières premières énergétiques. Son aéroport assure 42 % des vols internationaux et constitue le principal hub du pays.
• La population de Mumbai est en forte croissance : elle comptait seulement 3 millions d'habitants en 1955. Cet accroissement est lié à l'exode rural et à l'accroissement naturel de la ville, malgré la baisse de la fécondité en milieu urbain. La croissance devrait se poursuivre dans les décennies à venir.
• Même si le revenu moyen des habitants de Mumbai est plus fort que celui des autres régions indiennes, les écarts de revenus sont importants et tendent à se creuser. Dans le bidonville de Dharavi, le revenu moyen est de 2 euros par jour. Mumbai associe des espaces de forte richesse au sein de certains quartiers du centre-ville, ainsi que dans des espaces littoraux privilégiés, au sud et à l'ouest, et des quartiers de grande pauvreté. Les quartiers riches voisinent, avec des contrastes saisissants, avec les slums ou bidonvilles, situés plutôt à l'est de la ville, dont les habitants subsistent grâce aux petits emplois dans les quartiers aisés ou dans l'économie interne de ces quartiers.
2. Une métropole reflet de l'émergence
• Le CBD de Mumbai est en profonde mutation. Il prend peu à peu l'aspect d'une ville internationale, avec des gratte-ciel. Dans ces quartiers, on trouve également des logements de grand standing. De nouveaux centres apparaissent, en relais de l'ancien CBD : Oshiwara et Bandra Kurla. Les plus grandes FTN indiennes, comme Tata, ont leur siège social à Mumbai. Grâce à l'anglophonie, des plates-formes téléphoniques y sont nombreuses. La ville est la principale place financière du pays, avec la principale bourse. L'espace productif de la ville est aussi en recomposition. Les nouvelles technologies, moins présentes qu'à Bangalore, se développent dans la technopole de Ghatkopar East.
• Dans le domaine de l'éducation, elle possède la principale université. Quant à l'influence culturelle du pays, elle apparaît avec les studios de Bollywood (forgé à partir du mot Bombay, nom donné à la ville à l'époque coloniale) qui produisent 250 films par an, diffusés surtout en Inde ou à destination de la diaspora.
3. Une métropole en voie de désunion ?
• Seule une partie de la ville est bien intégrée aux réseaux de la mondialisation. L'accès aux emplois et aux services est rendu difficile pour les habitants des quartiers populaires, car les réseaux de transports sont saturés. L'investissement en la matière reste insuffisant.
• Les quartiers les plus pauvres, avec 60 % de la population vivant dans les bidonvilles, présentent un défi important, alors que la gentrification ne fait encore que s'amorcer, par exemple dans le quartier de Bandra. La plupart du temps, la montée du prix de l'immobilier dans un bidonville proche du centre implique l'expropriation des habitants et la construction de grands programmes immobiliers. Sans solution de relogement, la population investit des espaces situés sur les marges urbaines et contribuent ainsi à l'étalement de l'espace urbain, sans que les réseaux nécessaires aient été mis en place.
• Les défis environnementaux sont importants. Certains concernent le domaine sanitaire : adduction d'eau, assainissement. Quant à la protection de l'environnement, malgré la pollution importante, la ville met en œuvre une politique de préservation d'espaces naturels, avec le parc national Sanjay Gandhi.
• Ainsi, l'affirmation de Mumbai comme métropole à l'échelle mondiale est un processus long. Il nécessite de trouver des réponses face aux mutations qu'il induit.
II. Londres : les défis d'une ville mondiale
Avec 13,2 millions d'habitants dans son aire métropolitaine, Londres est une des principales villes d'Europe. À lui seul, le grand Londres représente 25 % du PIB du Royaume-Uni. Son influence en fait une ville mondiale, à la croisée de plusieurs des principaux flux planétaires. Son poids dans la mondialisation a même pu servir d'argument pour justifier que la Grande-Bretagne n'a plus besoin d'être membre de l'Union européenne pour disposer d'une puissance suffisante. Quelles sont les conséquences de cette influence sur l'espace urbain londonien ?
1. Un espace façonné par son rapport au monde
• La ville de Londres est héritière du lien entre la ville et le monde. Située au fond de l'estuaire de la Tamise, elle occupe un site portuaire. Depuis le Moyen Âge, la ville connaît une double centralité : la City de Londres est alors une ville commerciale, alors que Westminster est le siège de pouvoir politique. Cette dualité persiste jusqu'à nos jours.
• Avec la révolution industrielle, à partir de la fin du xviiie siècle, apparaît une autre constante : à l'est de la ville, de nouveaux quartiers industriels s'établissent le long de la Tamise. Les quartiers ouvriers qui s'établissent à proximité sont souvent très défavorisés : c'est l'East End. Les quartiers de l'Ouest, au contraire, deviennent des quartiers résidentiels aisés. La constitution de l'Empire britannique contribue au développement de la ville qui entretient dès le xviie siècle, mais surtout au xixe siècle et au début du xxe siècle, des rapports commerciaux avec un espace qui couvre une large part de la planète.
• Depuis le milieu du xxe siècle, ces fonctions ont connu d'importantes mutations. Depuis les années 1960, après l'indépendance de l'ensemble des colonies britanniques, de nombreux immigrés issus des anciennes colonies s'établissent à Londres, les Indiens et les Pakistanais étant les plus nombreux. Ces diasporas contribuent à entretenir les liens entre la métropole et les espaces lointains qui, politiquement, avaient longtemps dépendu d'elle. La ville devient de plus en plus cosmopolite. Pour gérer la croissance urbaine et l'étalement urbain, des villes satellites sont créées. Depuis les années 1970 et le tournant libéral de l'économie britannique, on a assisté à une profonde désindustrialisation de Londres et à une tertiarisation ainsi qu'à une financiarisation de l'économie de la ville. Depuis cette époque, la ville voit ses espaces se recomposer, en lien avec une importante ouverture au monde, tant pour le tourisme que pour les affaires.
2. Le redéploiement des espaces centraux
• Les espaces centraux de Londres sont en pleine recomposition. Le centre politique reste Westminster, avec le Parlement. La City a connu des mutations importantes. Elle a perdu l'immense majorité de ses habitants et est devenue un quartier d'affaires exclusif, avec la bourse de Londres, les sièges sociaux des banques et des grandes entreprises. Elle déborde sur la rive sud, à Southwark. Elle est actuellement le cadre de la construction de nombreux immeubles de grande hauteur, dont certains comme le Gherkin ou le Shard (à Southwark) sont les emblèmes de la réussite de la ville, inscrits dans son skyline. La City est aujourd'hui directement reliée au continent par la gare de Saint-Pancras, où arrivent les trains en provenance de Paris.
• Ce centre est aujourd'hui déconcentré. L'aéroport d'Heathrow, à l'ouest de l'agglomération, le plus important d'Europe en termes de trafic et le plus important des cinq aéroports que compte l'agglomération londonienne, est aujourd'hui entouré d'un nouveau centre d'affaires.
• À l'est de la ville, les anciens espaces industriels situés le long de la Tamise ont été réhabilités en centres d'affaires et en logements de standing : c'est l'ensemble des Docklands. On peut citer l'exemple du quartier de Canary Wharf. L'ancien East End connaît des mutations profondes. Il est marqué par la présence de communautés indiennes et pakistanaises, ainsi que caribéennes, mais connaît un rapide processus de gentrification. Certains de ces quartiers deviennent des pôles de l'émergence de la nouvelle économie, comme le quartier de Hackney.
3. Le défi des inégalités sociospatiales
• La ville est toutefois confrontée à de nombreux défis. Le premier concerne les clivages sociaux spatiaux. Le processus de gentrification et l'augmentation très importante de prix de l'immobilier conduisent à la relégation sociospatiale des catégories les plus modestes dans les espaces périphériques du grand Londres.
• Malgré la gentrification, des quartiers de l'East End demeurent défavorisés et n'ont pas accès à des services aussi denses que les quartiers de l'ouest de l'agglomération. Par ailleurs, Londres subit la concurrence d'autres métropoles européennes, comme Paris, où pourraient se redéployer des emplois après le Brexit et la concurrence des places financières des pays émergents.
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