Les caractéristiques du genre poétique

Au sens premier, la poésie s'oppose à la prose. Cette dernière se définit comme un sermo soluta, c'est-à-dire un « discours délié » dont le seul but est d'aller de l'avant. La poésie, au contraire, est définie comme un « discours mesuré », c'est-à-dire astreint à une mesure que l'on appelle un mètre. La poésie ainsi définie coule la langue dans des moules aussi divers qu'il y a de mètres. Classiquement, la langue poétique se présente sous la forme de vers qui peuvent être regroupés en strophes. Cela suffit-il à la définir ? Quelle est la conception moderne de la poésie ?
1. Quelles sont les particularités du genre poétique ?
Le mot poésie vient du verbe grec poiein, qui signifie « produire », « créer ». Le poète se donne un pouvoir d'invention, de création verbale : en exploitant toutes les ressources de la langue, il invente un nouveau langage où les mots ont plus de sens et de densité que dans leur usage habituel. « Les mots que j'emploie, / Ce sont les mots de tous les jours et ce ne sont point les mêmes », écrit Paul Claudel dans La Muse qui est la grâce.
La poésie accorde une telle place au langage qu'elle peut se passer de narration, d'idée, de message à transmettre ; c'est la beauté et le pouvoir de suggestion des mots qui importent plus que leur sens premier. Au xixe siècle, la théorie de « l'art pour l'art », que développe notamment Théophile Gautier, radicalise même cette conception : « il n'y a vraiment de beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid  »(préface de Mademoiselle de Maupin). Victor Hugo combattra cette position en proposant une poésie de plus en plus engagée (son recueil satirique Les Châtiments s'oppose violemment à la politique du Second Empire).
Parce que le poète est comme un orfèvre qui travaille le langage, la poésie est le genre qui se donne les plus fortes contraintes formelles : le vers, la rime, la strophe et les différentes formes poétiques codifiées ( sonnet, ballade, etc.) la distinguent bien souvent des autres genres. La versification est un ensemble de contraintes que se donne le poète afin d'obtenir certains effets liés au sens du poème : rythme sautillant ou grave, sonorités inquiétantes ou comiques, harmonie ou discontinuité, etc. La poésie est une forme-sens : le sens du poème naît de la forme autant que la forme sert le sens.
Exercice n°1
2. Qu'apportent le vers et le travail du rythme ?
Le mètre utilisé peut être régulier ou irrégulier (on parle alors de vers hétérométriques) selon l'impression que veut produire le poète.
Le vers se définit en fonction du nombre de syllabes. Parmi les vers pairs qui confèrent souvent une certaine régularité au rythme du poème, on distingue entre autres : l'alexandrin (12 syllabes), le décasyllabe (10 syllabes), l'octosyllabe (8 syllabes) et l'hexasyllabe (6 syllabes).
Les vers impairs (5, 7, 9, 11 syllabes) sont plus rares et leur présence doit être considérée comme un élément signifiant. Dans son Art poétique (1874), Verlaine préconise ainsi l'emploi du mètre impair :
«  De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.  »

Attention au décompte des syllabes dans un vers : un -e final n'est jamais prononcé en fin de vers. En revanche, il compte comme une syllabe à la fin d'un mot, dans le vers, lorsqu'il est suivi d'une consonne. Par ailleurs, quand deux voyelles se suivent dans un mot, elles peuvent compter comme deux syllabes (diérèse), ou comme une seule syllabe (synérèse).
La nature du vers influe sur le rythme du poème. En règle générale, plus un vers est court, plus le retour des sonorités à la rime est fréquent, et plus le rythme est saccadé ; à l'inverse, plus un vers est long, plus le rythme est posé. Par exemple, dans cette strophe tirée des Orientales de Victor Hugo, l'alternance métrique permet de transcrire le doux balancement de Sara dans son hamac et le mouvement de l'eau :
«  Sara, belle d'indolence,
Se balance
Dans un hamac, au-dessus
Du bassin d'une fontaine
Toute pleine
D'eau puisée à l'Ilyssus.  »

Le rythme du vers lui-même repose sur des accents qui déterminent des coupes. Ainsi, l'alexandrin classique est composé de deux hémistiches, de chacun six syllabes, séparés par une coupe centrale, nommée césure.
Le rythme du poème dépend également du rapport entre la phrase grammaticale et le vers. Ainsi, lorsque la phrase ne s'arrête pas à la fin du vers mais se poursuit sans interruption sur le vers suivant, on parle d'enjambement. Lorsque le groupe placé au début du vers suivant est très bref, on parle de rejet. À l'inverse, quand le groupe isolé et bref se situe à la fin du vers, il y a contre-rejet. Ces procédés modifient le rythme du poème, en le rendant plus ample, et créent des effets de sens en général intéressants, en mettant par exemple en valeur un groupe de mots.
3. Comment le poème joue-t-il sur les sonorités ?
La rime est l'une des caractéristiques de la poésie classique. Le retour des sonorités crée un effet à la fois visuel et sonore et influe sur le rythme du poème.
Le choix du schéma de rimes est significatif. On distingue ainsi les rimes plates (aabb), les rimes croisées (abab) et les rimes embrassées (abba).
En outre, suivant l'effet d'écho et de musicalité que le poète cherche à donner, les rimes peuvent être pauvres (un seul son en écho, comme voix / choix), suffisantes (deux sons en écho, comme infiniment / terriblement) ou riches (au moins trois sons en écho, comme latente / éclatante).
Par ailleurs, on distingue les rimes féminines (le vers s'achève par un -e muet) des rimes masculines. Dans la poésie classique, il convient de faire alterner ces deux types de rimes.
Enfin, au sein même du vers, le poète peut travailler sur la musicalité des mots en formant des assonances (répétitions vocaliques) ou des allitérations (répétitions consonantiques). Ces procédés permettent souvent de créer une harmonie imitative : les sonorités elles-mêmes contribuent à exprimer le sens du poème. « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? » (Racine, Andromaque, 1667) : l'allitération en [s] imite le sifflement des serpents.
4. Pourquoi avoir inventé le poème en prose ? Qu'est-ce que le vers libre ?
Au xixe siècle, Aloysius Bertrand, puis Baudelaire, refusent dans certains de leurs poèmes la contrainte trop forte de la rime et du vers, et donnent ainsi naissance au poème en prose. Le poète invente alors ses propres contraintes formelles. Néanmoins, ces textes conservent la forme courte du fragment, une syntaxe rythmée et des répétitions sonores et lexicales. Comme dans la poésie traditionnelle, ils usent d'images très libres.
Gaspard de la Nuit
« Il était nuit. Ce furent d'abord, – ainsi j'ai vu, ainsi je raconte, – une abbaye aux murailles lézardées par la lune, – une forêt percée de sentiers tortueux, – et le Morimont grouillant de capes et de chapeaux.
Ce furent ensuite, – ainsi j'ai entendu, ainsi je raconte, – le glas funèbre auquel répondaient les sanglots funèbres d'une cellule, – des cris plaintifs et des rires féroces dont frissonnait chaque feuille le long d'une ramée, – et les prières bourdonnantes des pénitents noirs qui accompagnaient un criminel au supplice. »
Aloysius Bertrand, 1842

Le vers libre, lui, est un vers par sa disposition typographique, mais n'a pas de régularité rythmique et ne comporte pas forcément de rime. On le trouve dans la poésie moderne.
Exercice n°4
5. Qu'est-ce que la prose poétique ?
Progressivement, c'est toute la langue qui devient poétique : il apparaît en effet que toute phrase porte en elle des cadences et des sons, et donc une métrique et une prosodie (la prosodie étant l'analyse du rythme et des sonorités). Il en est ainsi, par exemple, de ce début de Salammbô de Flaubert : « C'était à Mégare, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Amilcar » ; ou même de cet extrait du code de procédure pénale qui faisait frémir Claudel : « Tout condamné à mort aura la tête tranchée » (l'allitération finale semble éjecter le dernier mot comme la tête du guillotiné…).
Ces exemples témoignent du fait que la puissance poétique ne se limite pas au respect de règles préétablies. Avec la prose poétique surgit la définition moderne et beaucoup plus large de la poésie, conçue comme cet usage de la langue où la forme linguistique elle-même (le signifiant) est l'objet d'attention.
Exercice n°5
La citation
« Un poète est un monde enfermé dans un homme. » (Hugo, La Légende des siècles,, 1859-1883.)
Exercice n°1
Parmi ces propositions, quelles sont les contraintes formelles que se donne le genre poétique ?
Cochez la (ou les) bonne(s) réponse(s).
le mètre (pair ou impair)
le schéma de rimes
la métaphore
la strophe
le vers
la tonalité mélancolique
La poésie est un genre qui se fixe des contraintes fortes pesant sur la forme : respecter certaines longueurs de vers, certains schémas de rimes, un nombre précis de strophes et de vers par strophe, etc. Ces contraintes varient selon la forme du poème (un sonnet, une ballade ) et selon l'époque. Au xviie siècle, par exemple, Boileau, dans son Art poétique, pose les jalons de ce qui deviendra l'idéal de la poésie classique. À partir du xixe siècle, certains poètes contestent ces contraintes imposées à la poésie par le classicisme. Le poète devient alors libre de s'affranchir de la codification du genre.
Attention, la poésie n'a pas de tonalité particulière : elle peut être tout aussi bien mélancolique que comique, par exemple.
Exercice n°2
Lequel de ces vers contient une diérèse ?
Cochez la bonne réponse.
« La nature est un temple où de vivants piliers » (Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, « Harmonie du soir », 1857)
« Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien » (Arthur Rimbaud, Le Cahier de Douai, « Sensation », 1870)
« Les nuages du ciel ressemblaient à des marbres » (Victor Hugo, Les Contemplations, « À quoi pensaient les deux cavaliers », 1856)
Il est très important de repérer les diérèses au sein des vers. Outre qu'elles permettent au poète d'obtenir un mètre régulier (ici, l'alexandrin), elles mettent en valeur un mot qui, de ce fait, focalise l'attention du lecteur. Il est indispensable de les inclure dans un commentaire de texte. Rappel : l'antonyme de la diérèse est la synérèse. La diérèse porte sur bohémien (bohémi-en).
Exercice n°3
Qui est l'initiateur du poème en prose ?
Cochez la bonne réponse.
Aloysius Bertrand (1807-1841)
Charles Baudelaire (1821-1867)
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Publié en 1842, le recueil d'Aloysius Bertrand Gaspard de la Nuit est constitué de poèmes sans vers, mais comportant des strophes et des rythmes proches de la poésie versifiée. Le poète a la volonté de créer « un nouveau genre de prose », c'est-à-dire aussi un nouveau genre de poésie. Le recueil est passé inaperçu jusqu'à ce que Baudelaire le cite avec admiration et le revendique comme source de son inspiration de ses Petits Poèmes en prose (1869).
Exercice n°4
Voici une phrase extraite d'Atala (1801) de Chateaubriand : « Le désert déroulait maintenant devant nous ses solitudes démesurées. »
En quoi peut-on dire qu'elle relève de la prose poétique ?
Cochez la (ou les) bonne(s) réponse(s).
Elle est construite sur un jeu d'assonances et d'allitérations.
Son rythme est celui d'un alexandrin, suivi d'un octosyllabe.
Elle évoque la nature, sujet poétique privilégié.
Cette phrase est constituée de deux membres : le premier épouse le rythme parfaitement régulier de l'alexandrin (Le désert/ déroulait/ maintenant/ devant nous) ; le second se déploie comme un octosyllabe, créant un effet de rupture. Ces deux séquences rythmiques sont liées entre elles par un jeu de sonorités en écho : sert/ roulait/ mesurées ; sert/ démesurées ; maintenant/ devant.
Exercice n°5
Quelle est la figure de style mise en valeur dans l'extrait suivant ?
Le Roman de la Rose
«  Pauvreté, qui n'est point dans l'aisance,
Amena son fils Larcin
Qui pour aider sa mère
S'en va en courant au gibet
Et s'y fait quelquefois pendre
Car sa mère ne peut le défendre ;
Son père non plus, Cœur faibli,
Qui de chagrin en est accablé.  »
Jean de Meung, 1270-1275

Cochez la bonne réponse.
une antithèse
une allégorie
une comparaison
L'allégorie est une métaphore animée et se signale souvent au lecteur par une majuscule. Elle est fréquente dans la fable pour sa forte puissance représentative : les idées prennent vie et se personnalisent.
Exercice n°6
Quel est l'effet des allitérations mises en valeur dans les deux vers suivants ?
Le Cahier de Douai
«  Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.  »
Arthur Rimbaud, « Le Dormeur du val », 1870

Cochez la bonne réponse.
un effet de dureté
un effet de sensualité
un effet de répétition
S'il est souvent difficile de commenter les effets des allitérations, car on risque de tomber dans l'interprétation gratuite ou subjective, il faut être attentif à celles qui accentuent le sens de la phrase. Dans la conclusion de ce célèbre sonnet de Rimbaud, les dentales d et t et la liquide r, associées, renforcent la fatalité qui marque la conclusion du poème.
Exercice n°7
Par quelle figure de style Paul Éluard effectue-t-il un rapprochement entre les dormeurs et le monde minéral dans l'extrait suivant ?
Donner à voir
« Les dormeurs sont blancs, veinés de vert pâle, aussi transparents que le cristal de roche ; leurs cuisses laissent passer les rayons du jour. Ils n'ont pas la solidité du marbre le plus ordinaire ; ils sont même si tendres qu'on peut les tailler, les façonner avec un couteau.
Mais au contact de leurs paupières, la nuit dure et froide se fond comme l'ardoise. »
Paul Éluard, « Dormeurs », 1939

Cochez la bonne réponse.
la métaphore
l'analogie
l'ellipse
Procédé très proche de la comparaison et de la métaphore, l'analogie établit une ressemblance entre deux ou plusieurs objets qui sont, habituellement, totalement éloignés. Ici, le poète insiste sur les rapports de réciprocité et d'harmonie qui existent dans l'univers.
Exercice n°8
Qu'est-ce qu'un calligramme ?
Cochez la bonne réponse.
un poème qui se lit de haut en bas
un poème dont la forme mime le sujet traité
un poème dont tous les vers sont anaphoriques
Le calligramme est un type de poème principalement employé par Guillaume Apollinaire. Le texte est organisé de manière à reproduire graphiquement le sujet du poème (une fontaine, une colombe par exemple).