L'empire d'Autriche-Hongrie comprend un grand nombre de nationalités et joue un rôle décisif dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale. En quoi sa situation illustre-t-elle les tensions liées aux nationalités en Europe de l'Est au début du xxe siècle ?
L'entrée en guerre d'un empire multinational
• L'Autriche-Hongrie, née en 1867 de l'union de deux États d'Europe centrale, l'Autriche et la Hongrie, est une double monarchie qui rassemble l'empire d'Autriche et le royaume de Hongrie. Un même souverain gouverne, l'empereur-roi François-Joseph.
• Il s'agit également d'un empire multinational. En effet, l'État regroupe des peuples de différentes nationalités réunis sous un même gouvernement central : des Allemands et des Hongrois, mais aussi de nombreuses minorités slaves et latines.
• En Europe de l'Est, certains peuples des Balkans sous domination de l'Empire ottoman revendiquent leur indépendance au nom du principe des nationalités. Inquiet de l'influence de la Russie, qui soutient ces revendications, l'empereur François-Joseph contracte une alliance avec l'Allemagne en 1879, sous le nom de « Duplice », étendue à l'Italie en 1882 (« Triplice »). En 1908, il annexe le territoire ottoman de Bosnie-Herzégovine, composé en grande partie de Serbes. La Serbie voisine, qui souhaite l'unification de tous les Serbes, considère cela comme une provocation.
• Les guerres balkaniques de 1912-1913 accélèrent le processus de dislocation de l'Empire ottoman. Les contemporains de l'époque parlent de « poudrière balkanique » pour qualifier l'instabilité géopolitique de la région : le moindre incident est susceptible d'entraîner un conflit généralisé.
• C'est ce qui se produit le 28 juin 1914 : à Sarajevo, l'archiduc François-Ferdinand et sa femme, couple héritier du trône d'Autriche-Hongrie, sont assassinés par un étudiant serbe de Bosnie. Le 23 juillet 1914, l'Autriche-Hongrie adresse un ultimatum à la Serbie, c'est-à-dire une menace d'entrer en guerre si ses exigences ne sont pas entendues. L'Empire, qui perçoit la Serbie comme une menace, lui déclare finalement la guerre le 28 juillet 1914. Le système d'alliances conduit à une série de déclarations de guerre et à une internationalisation rapide du conflit.
Un empire fragilisé par la guerre et le réveil des nationalités
• L'armée multinationale d'Autriche-Hongrie fait preuve d'une cohésion remarquable. Elle affronte l'armée russe sur le front oriental et mène une offensive en Serbie, occupée à partir de 1915. Cependant, l'entrée en guerre de l'Italie en 1915 ouvre un nouveau front. L'Autriche-Hongrie doit ainsi mobiliser son armée sur trois fronts différents, ce qui crée de nombreuses difficultés, notamment économiques. Rapidement, l'Empire est à bout de forces : les défaites militaires et les pénuries de ravitaillement de l'hiver 1916-1917 font émerger d'importantes contestations à l'arrière.
• Ainsi, après la mort de l'empereur François-Joseph en novembre 1916, son successeur Charles Ier entame des négociations de paix séparée avec les pays de l'Entente, en vain. L'agitation politique et le réveil des nationalités, soutenu par les forces de l'Entente, ébranlent fortement la double monarchie.
• Après la fin des combats sur le front de l'est en 1917, l'armée austro-hongroise reporte ses efforts sur le front italien. Cependant, l'offensive de l'été 1918 est un échec. En outre, les Autrichiens sont au bord de la famine, du fait des mauvaises récoltes et de l'économie de guerre. L'effondrement économique accompagne la dislocation politique. Pour sauver l'Empire, Charles Ier tente une réforme de la double monarchie en proposant de la transformer en une fédération d'États nationaux. Cette tentative arrive trop tard : les révoltes nationalistes se multiplient et les États composant l'Autriche-Hongrie proclament leur indépendance en octobre 1918. L'armistice entre l'Autriche et les pays de l'Entente est signé le 3 novembre 1918 à Padoue, siège du quartier général italien.
Le traité de Saint-Germain et la dislocation de l'Empire
• Les deux États composant l'Autriche-Hongrie ayant rompu leurs liens, chacun signe avec les Alliés des traités de paix spécifiques, qui entérinent le démembrement de l'Empire. Ainsi, le 10 septembre 1919, le traité de Saint-Germain est signé entre les Alliés et l'Autriche, tandis que le traité de Trianon est signé avec la Hongrie le 20 juin 1920.
• Les frontières des nouveaux États y sont définies en fonction du principe des nationalités et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, réaffirmés par le président américain Wilson dans ses 14 points. La dislocation de l'empire d'Autriche-Hongrie donne naissance à l'Autriche, la Hongrie et la Tchécoslovaquie.
• Cependant, le principe des nationalités est difficile à appliquer dans cette région, car les peuples sont fragmentés et parfois étroitement imbriqués. En outre, les intérêts des pays vainqueurs prédominent. Ainsi, une fédération yougoslave est créée autour de la Serbie, et rassemble des peuples serbes, croates et slovènes. Le rassemblement de plusieurs nationalités sous un même gouvernement maintient des tensions importantes.
• D'autres nationalités sont morcelées par les traités de paix : par exemple, les peuples germanophones d'Allemagne et d'Autriche ne peuvent s'unir en un seul État, malgré les revendications d'une partie de la population. La Hongrie se voit amputée d'une grande partie de son territoire par le traité de Trianon, ce qui va alimenter une forte rancune et contribuer à son rapprochement avec l'Allemagne nazie dans l'entre-deux-guerres. Ainsi, des minorités demeurent après la guerre, qui contribuent à ce que l'Europe centrale et balkanique reste durablement une région instable au plan géopolitique.